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les propos de madère
24 septembre 2015

Les propos de Madère - Un paysage politique brouillé

Un paysage politique brouillé

Sans attacher une importance démesurée aux sondages on ne peut qu’être alerté par celui publié dimanche 20 septembre à propos de l’élection régionale dans le Nord Pas de Calais Picardie.

Les intentions de vote qu’il donne sont claires et sans ambiguïté. Rappelons-les. Le Front national obtiendrait, au deuxième tour, dans l’hypothèse d’une triangulaire, 39 %, le candidat du Front républicain 32 % et celui du Parti socialiste 29 %. Soulignons qu’au premier tour le Front de gauche réunirait 6 % des suffrages et les Verts 4 %.

Cette estimation exprime bien la tendance actuelle dans la perspective de ces élections qui se dérouleront les 6 et 13 décembre prochains. On peut avancer que la candidature de Marine Le Pen elle-même majore le résultat du Front national. Sans doute, mais il est probable que d’autres sondages confirmeront l’évolution de l’électorat.

Cette évolution ne peut être expliquée par des raccourcis faciles ou par quelques idées péremptoires. Il faut ici procéder à une analyse allant autant que possible au fond des choses, même s’il est évident que les causes de cette situation sont tellement multiformes qu’on ne peut les aborder toutes.

Parlons d’abord du plus facile. Il est clair que la division de la gauche porte en elle une grande responsabilité. Il n’en est pas moins vrai qu’existe une réserve forte des électeurs à l’égard de la droite classique dont beaucoup considèrent que, lorsqu’elle était aux responsabilité, elle n’a pas fait mieux que la gauche.

Ainsi, la tentation d’essayer autre chose apparaît. C’est d’autant plus vrai que l’entreprise de dédiabolisation du Front national porte ses fruits. Les récentes escarmouches entre Jean Marie Le Pen et sa fille n’ont pas remis en cause ce processus. Que cela soit vrai ou non, le Front national est désormais aux yeux de bon nombre d’électeurs moins sulfureux et pis encore moins dangereux. Ce constat n’est pas agréable mais il est réel.

Ensuite, toutes les bisbilles qui entourent la constitution des listes n’arrangent rien, singulièrement pour la gauche, où de nombreuses listes dissidentes n’ont pu, jusqu’ici, être évitées. En outre, ici et là, le Parti radical de gauche ne cesse de faire monter les enchères pour obtenir une tête de liste départementale ou un éventuel poste important dans le futur exécutif régional. La tactique du « retenez-moi ou je fais un malheur » est ici poussée à son maximum. La presse locale est pleine de ces tractations byzantines et des déclarations va-t’en guerre de personnages davantage poussés par le désir d’exister que par celui d’un attachement aux idées de progrès dont ils se réclament pourtant.

Tout cela brouille le paysage politique à gauche. La droite apporte sa pierre à ce brouillage en contestant le « parachutage » de personnalités de la société civile  à la tête de ses listes.

Bref, rien n’est fait pour que l’électeur soit placé dans un climat lui permettant, le moment venu, de voter dans la clarté tellement le climat préélectoral aura été animé de controverses qui ne manqueront pas de laisser des traces.

Tout ceci rappelé, il est indispensable de dire que ces élections régionales, mais aussi demain la présidentielle, vont se dérouler dans un contexte général de désaffection du peuple à l’égard de la classe politique.

Cette désaffection trouve ses raisons tant dans les déceptions liées à la politique de la gauche que des doutes quant aux capacités de la droite à faire mieux.

Examinons ce qui est attribué comme responsabilité à la gauche – c’est d’autant plus fort qu’elle exerce le pouvoir – puis nous situerons ce qui est mis au passif de la droite classique.

Paradoxalement, un des reproches essentiels fait à la gauche de gouvernement relève de l’imaginaire de l’électorat de gauche. Ainsi, pour beaucoup et c’est un phénomène de l’inconscient collectif, l’arrivée au pouvoir de la gauche, impasse faite sur les réalités économiques, signifiait qu’elle allait pouvoir s’exonérer de la réduction des déficits, des augmentations d’impôts, etc…  Mieux même, là encore en faisant abstraction de l’héritage de la droite, des engagements internationaux, beaucoup espéraient des mesures positives dans beaucoup de domaines.

Comme elles ont été impossibles à mettre en œuvre et, pire encore pour cet « électorat espérant », les orientations de rigueur, décidées dès l’entrée en fonction du Président de la République, ont déçu. Cette déception a été accrue car, disons-le, la majorité ou presque de ceux qui avaient voté à gauche ont eu du mal à comprendre que des dispositifs favorables au patronat étaient privilégiés au nom de la recherche de la croissance.

Les résultats tardant à venir, les efforts fiscaux réclamés notamment à la classe moyenne, cœur des votants à gauche, ont été encore plus durement ressentis.

Peu ont vu que l’ensemble de la politique gouvernementale, si elle est manifestement marquée au coin de la rigueur, n’est en rien comparable à l’austérité drastique mise en œuvre en Espagne,  au Portugal et en Grèce.

Aussi, un sentiment d’incompréhension s’est installé à l’égard de François Hollande. Il s’est traduit dans les sondages mais aussi dans les votes.

Droite et extrême droite n’ont alors cessé de faire du Président de la République leur cible principale. Leurs critiques ont souvent débordé le cadre du combat politique. Passons, mais ne négligeons pas que l’image caricaturale donnée du Chef de l’Etat n’a pu que renforcer ce courant de désaffection à l’égard de la politique en général.

Si les partis d’opposition sont dans leur rôle en critiquant à tout va, par contre ceux qui ont soutenu, au moins par leur vote, la candidature de François Hollande, contribué à son élection, participé pour certains deux ans durant au gouvernement, auraient pu, sans être des « béni oui-oui », éviter d’être des contempteurs pire que les leaders de la droite.

Certes on peut comprendre les désaccords par rapport aux orientations du gouvernement. Certes on peut trouver naturel qu’au sein de la majorité des voix s’élèvent pour réclamer des inflexions ou des rectifications. Cela ne saurait aller jusqu’à un harcèlement contestataire à tout propos.

Or, en adoptant cette attitude de manière constante les Verts, le Front de gauche et, dans une  moindre mesure les Communistes, s’inscrivent de fait dans la recherche de la défaite de la gauche de gouvernement. Nous sommes là plus que dans la division passagère mais dans une autre démarche. Elle s’inspire de ce qui se fait en Espagne avec Podemos ou de Syriza en Grèce.

La démagogie, la négation des difficultés économiques irriguent cette démarche « d’une autre gauche », celle qui se proclame près du peuple.

Tout cela renforce le malaise qui gagne les esprits. Cela explique que l’électorat se détourne de ceux qui sont au pouvoir mais aussi de cette « autre gauche » qui ne parvient ni à s’entendre ni à se fédérer, ni à séduire un électorat qui les fuit. Beau résultat, mais hélas, bien réel.

Le rejet de la politique s’alimente aussi au plan européen. Une ligne de fracture se situe à ce niveau. Elle a pour particularité de traverser tant la gauche que la droite. Ce domaine n’est plus l’apanage du Front national. L’europhobie, le renvoi permanent de toutes les difficultés rencontrées notamment au plan économique, à l’Europe va se développant. La responsabilité de l’austérité et donc de l’injustice sociale qui en découle est sans cesse reprochée à l’Europe, bouc émissaire facile.

L’afflux massif des réfugiés dans les divers pays qui la composent est un motif de plus de taper sur l’Europe dénoncée soit comme incapable de maîtriser ce flux soit de favoriser cet envahissement au détriment des pauvres originaires de cette vieille Europe.

Ainsi, se créé un climat anxiogène encouragé par un nombre non négligeable d’intellectuels, d’ordinaire classés à gauche. Ils vont, à l’instar de Jacques Sapir (1), jusqu’à déclarer : « A partir du moment où on se donne comme objectif prioritaire le démantèlement de la zone euro, une stratégie, y compris avec les forces de droite, apparaît non seulement comme logique mais nécessaire -  à  terme la question des relations avec le Front national ou avec le parti issu de ce dernier sera posée ».

Notons que cette position est regardée sans effroi par le philosophe, lui aussi de gauche, Michel Onfray.

De ces positions naissent des confusions dans une partie de l’électorat traditionnellement de gauche. La porte est ainsi ouverte ou presque pour qu’il évolue vers la mise en cause de l’Europe et rejoigne, au moins dans le vote, les extrémistes de tout poil.

On voit combien, à gauche, les repères traditionnels sont susceptibles de bouger dans un paysage politique brouillé.

Quant à la droite dite de gouvernement ou force d’alternance, sa situation réelle  n’est guère meilleure. Malgré un effort d’affichage d’unité, malgré un changement de nom et la mutation de l’UMP en Parti républicain, on ne peut pas dire qu’elle apparaît, aux yeux de l’ensemble des électeurs, comme un pôle de stabilité sûr de ses valeurs idéologiques et particulièrement attractif.

Le retour de Nicolas Sarkozy, en dehors d’un cercle de fidèles, ne séduit guère. Les Français, dans leur ensemble, n’approuvent pas ce « come back ». Il a beau répéter sans cesse « j’ai changé » il demeure un trublion porteur de fait d’incertitudes quant à sa vision du pays.

La perspective de la primaire, au sein de ce nouveau parti, prend déjà le pas sur toutes les autres préoccupations que devraient avoir un parti d’alternance. Pourtant, tant bien que mal, un semblant de rassemblement va être sauvegardé jusqu’aux élections régionales. Plumer la volaille socialiste est un ciment qui lie tous ceux qui vont se déchirer dès le 14 décembre. Les futurs concurrents pour la primaire fourbissent leurs armes et le neo Parti républicain va se transformer en champ de bataille.

Tout cela n’est pas très séduisant pour l’électeur en mal de repères.

On pourrait ainsi décrire plus avant ce paysage politique incertain et anxiogène mais restons en-là. En effet, les partis, tant de gauche que de droite, sont tout à fait conscients que cette situation fait le lit du Front national. Chacun recherche, à sa manière, des solutions pour modifier la donne.

Gouvernement et Parti socialiste parient sur l’effet des résultats de la politique qu’ils mènent depuis trois ans. Ils ont, si tant est que l’harmonie règne entre eux, trois objectifs principaux : le retour à la croissance fût-il limité, contenir puis inverser la courbe du chômage, poursuivre la politique de réforme en avançant dans des domaines comme le droit du travail, sujet piégeux s’il en est, mais le gouvernement espère qu’on lui saura gré de son courage !

Le Parti socialiste, en tant que tel, a pris acte de l’état de division de la gauche et sait qu’il n’a rien à attendre des états-majors des autres partis ayant constitué, peu ou prou,  la majorité présidentielle. Il a ainsi décidé, au travers du lancement, à la mi-octobre, d’un referendum s’adressant directement au « peuple de gauche » de faire valider la nécessité de l’unité par les citoyens eux-mêmes. Ils seront appelés à voter sur les marchés « lieux où se retrouvent hommes et femmes de progrès » et par le biais d’internet. C’est un pari qui  sera difficile à gagner tant les électeurs sont démobilisés. Pire même, s’il fait « flop » il peut apporter la démonstration allant à l’opposé du  but recherché.

 Usant de notre liberté d’observateur de la vie politique, il n’est pas excessif de redouter que les résultats de la politique gouvernementale ne soient pas au rendez-vous ou du moins de manière insuffisante pour redonner confiance et visibilité aux électeurs. Il n’est pas trop téméraire non plus de craindre que l’unité ne se fabrique pas en contournant la direction des partis.

La droite, quant à elle, au moins pour la partie soutenant Sarkozy et ses affidés, voit son salut dans la reprise des thèses du Front national pour siphonner ses voix. L’essentiel des leaders de droite, dans des ébauches de programmes, tous plus libéraux les uns que les autres, ont un maître mot : économie. Là, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère et n’hésitent pas à parler de 100 à 150 milliards d’économie !

Il leur sera difficile de séduire un large électorat avec la perspective de l’austérité alors que cet électorat reproche déjà à la gauche sa rigueur pour un montant d’économie limité à 50 milliards d’euros.

Seul Alain Juppé apparaît moins porté vers la droitisation et vers l’austérité, du moins dans ce qu’il dit ou laisse paraître jusqu’ici. A cela rien d’étonnant. Son pari est d’apparaître en vieux sage, couturé de plaies découlant de sa longue carrière politique. Il se présente ainsi comme le plus apte au rassemblement dépassant son camp. Ainsi, si Sarkozy veut siphonner les voix de Marine Le Pen, Juppé, véritable Grippeminaud de la politique, espère, au-delà de l’électorat du Centre, capter celui de gauche déçu, comme il dit, du Hollandisme.

Tant à gauche qu’à droite on est donc dans le calcul. Il n’est pas iconoclaste de penser que cela ne suffira pas pour surmonter la désaffection du peuple à l’égard de la politique.

Il n’y a sans doute pas de solution miracle tant les dérives qui ont conduit à cette situation perdurent depuis longtemps.

Autant que la situation économique française et européenne le permette, une voie se trouve peut-être dans le retour aux fondamentaux et dans la réaffirmation des valeurs que chaque parti politique porte. Ainsi, sans promettre la lune, on peut affirmer ses différences et dire qu’on est libéral de droite, écologiste, social-démocrate, centriste, d’extrême droite ou d’extrême gauche. Chacun peut ainsi défendre ses idées dont il faut néanmoins bien convenir que, dans le contexte actuel, elles sont – du moins pour ceux qui veulent demeurer sérieux – au-delà de quelques fondamentaux représentant de vrais clivages, des variantes dans l’exercice de la politique quotidienne.

Au-delà de tout ce que nous venons de dire, il n’est pas inutile de rappeler que la politique française, même si on peut le regretter, est très largement conditionnée par l’élection présidentielle au suffrage universel. Cette élection qu’on le veuille ou non, exige d’éviter l’éparpillement des candidatures au premier tour et le rassemblement au second de ceux qui, pour l’essentiel, sont de même sensibilité.

L’accident de 2002, né d’une pléthore de candidatures au 1er tour, a conduit à l’élimination de la gauche, empêchée de concourir au 2ème par cette débauche de candidats, n’ayant aucune chance d’être élus mais se présentant tout de même.

Hélas pour la gauche mais fort heureusement pour la démocratie, le rejet de Jean Marie Le Pen était tel qu’il n’avait aucune chance de battre Jacques Chirac. Cela fut  d’autant plus vrai que la gauche, dans un réflexe républicain, a appelé, sans tergiverser, à voter Chirac. L’électorat a suivi.

Est-on si sûr aujourd’hui, dans le cas de figure ou le candidat du Front national serait au second tour et ce quel que soit celui qui lui serait opposé, de droite comme de gauche, de la discipline de l’électorat tellement taraudé par l’envie d’essayer autre chose ?

Ainsi, il serait – du moins c’est ce que pensent les gens raisonnables – souhaitable que ceux, à gauche, qui caressent l’idée de faire mordre la poussière au Parti socialiste ou que tous ceux qui apparaissent prêts à dynamiter la droite classique dans l’affrontement prochain des primaires, se reprennent et n’ouvrent pas les portes à l’aventure.

Qu’ils reviennent à l’essentiel. Qu’ils défendent leurs idées certes mais qu’ils gardent en tête qu’en 2017 il faudra, si on ne veut pas être entraîné sur les chemins de la  xénophobie, du repliement et de l’europhobie désastreuse, être en capacité de se rassembler.

Les sondages sont un signal d’alarme. Hélas, partis comme nous le sommes aujourd’hui, il est probable que les élections régionales seront le dernier avertissement susceptible de ramener, espérons-le, les partis de gouvernement à la raison.  Souhaitons qu’une majorité d’électeurs ne tombera pas dans le piège  de mettre en cause les fondements d’une société démocratique parce qu’elle proteste d’avoir payé trop d’impôts sous la gauche ou, qu’hier, les riches n’en payaient pas assez.

En votant pour l’un ou l’autre des partis qui composent l’offre politique démocratique française, du moins tant que la droite n’épouse pas par trop les thèses du Front national, on approuve des valeurs essentielles qui transcendent les avis et situations personnelles forcément limités.

Il appartient à tous les citoyens conscients de séparer  l’accessoire de l’important.

En votant on fait un choix de société. Convenons qu’il ne peut être effectué, dans la tête de chacun, dans un paysage politique brouillé.

Pour sortir de cette situation il importe que la classe politique, dans son ensemble, s’éloigne des petits calculs et des manœuvres dérisoires. Elle doit donner au pays, dans le contexte de morosité actuel, des orientations claires. Tout le monde sait, mis à part les innocents, que demain on ne rasera pas gratis. Alors, disons la vérité aux Français, admettons les erreurs qui ont pu être commises par les uns ou par les autres. Que chaque parti affirme ses choix essentiels. Les électeurs choisiront et écarteront les porteurs d’idées rances et égoïstes, indignes d’un monde moderne et démocratique.

Vœu pieux ? Peut-être, mais il n’y a sans doute pas d’autre voie raisonnable.

 

Jean Félix Madère

 

(1)  Jacques Sapir : universitaire, proche du Front de gauche. Cet économiste est en voie de rapprochement avec le souverainiste de droite Nicolas Dupont Aignan.

P.S. Mille excuses pour la longueur de ce blog mais il est des sujets qu’on ne peut traiter en quelques lignes.

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