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les propos de madère
22 janvier 2015

Les propos de Madère

Le mistigri de la division

 

Au lendemain de la semaine extraordinaire que vient de vivre le pays les attentes sont fortes dans la société française.

Beaucoup espèrent que l’union nationale, ressentie dans les manifestations historiques du 11 janvier, va se poursuivre et créer un climat favorable au dégagement de solutions dans les domaines de la sécurité et plus largement du vivre ensemble.

Les politiques, d’apparence, tentent de se mettre à l’unisson de ces aspirations. Gouvernement, majorité et opposition organisent des concertations républicaines de leurs leaders respectifs. Dans une sorte d’incantation, l’un déclare que désormais « plus rien ne sera comme avant », l’autre exprime son mépris de « la politicaille ».

Dans une perspective d’expression de volonté probatoire, des réunions ciblées sur la sécurité – question la plus urgente – se multiplient au ministère de l’Intérieur. Mieux même, à l’Assemblée nationale, un ton plus apaisé a dominé dans les travaux de la commission chargée d’examiner la très controversée loi Macron.

Tout le monde ou presque paraît vouloir faire durer ces instants si particuliers où le pays est rassemblé. Pourtant, sans vouloir jouer les Cassandre, chacun sait bien que cette mise entre parenthèses des sujets d’affrontements touche à sa fin même si personne, au plan national, ne veut porter la responsabilité du délitement de l’union.

Majorité et opposition s’observent.

Les premiers signes de difficultés du maintien du consensus, fût-il limité, se sont fait jour dès le lendemain du 7 janvier. Ainsi lorsque Jean Christophe Cambadélis a proposé  « un pacte national contre le terrorisme avec tous les Républicains » il a été immédiatement taclé par Jean Luc Mélenchon. Celui-ci a repoussé cette idée avec sa brutalité coutumière. Il a affirmé ainsi que « ce qui nous est proposé c’est de commencer à construire un cadre d’union nationale. Ce cadre est l’habillage d’une tentative  de réhabilitation du parti socialiste en faisant oublier les racines de la divergence qui nous sépare qui est la question sociale et la lutte contre la Finance ». Aucun parti de l’opposition n’a répondu, hormis par le silence, à la proposition du premier secrétaire du Parti socialiste.

Bien entendu, le Front national s’est placé en marge de toutes manifestations, concertations, etc…  ne condescendant qu’à répondre à la consultation formelle des partis politiques par le Président de la République.

Du côté de l’opposition on est, pour le moment, dans la retenue dans les propos et dans la participation d’apparence coopérative dans les divers lieux où la discussion est engagée par le gouvernement.

Inspirée par l’ancien Premier ministre J.P. Raffarin qui dit « l’intérêt supérieur du pays c’est que les Français ne soient pas déçus par le monde politique après ce qui vient de se passer », la droite évite les déclarations guerrières. Ce politicien  madré laisse pourtant échapper « ne n’est pas à nous de prendre le mistigri de la division ». Le comportement est ainsi en principe fixé.

Prendre cela pour argent comptant serait méconnaître les manœuvres conduites à l’instigation du leader retrouvé de l’UMP, Nicolas Sarkozy. Prenant un air patelin, qui ne lui convient guère, il engage son parti dans la pire des surenchères en proposant au gouvernement et au pays  toute une batterie de propositions répressives. Il laisse ses lieutenants, ou les incite, à décliner maints dispositifs allant encore plus loin. Il sait que cultiver l’excès est la meilleure façon de faire capoter l’entente nécessaire à la mise en œuvre de solutions à la hauteur des redoutables enjeux de la lutte contre le terrorisme. Ainsi, Sarkozy clive sans le dire…

Il espère, en mettant en avant des positions répondant de manière démagogique aux attentes du peuple, retrouver son leadership sur l’ensemble de la droite et se rendre incontournable pour la suite des choses, notamment sa folle envie de reconquérir la Présidence de la République.

Soulignons au passage qu’il a maladroitement montré son impatience à paraître, à être à nouveau dans les radars, en jouant des coudes lors de la manifestation du 11 janvier pour figurer en tête du défilé. Qui peut croire que celui qui est capable, dans un tel moment de gravité, d’un tel comportement n’a pas davantage le souci de lui-même et de son avenir que du devenir du pays ?

Tous les observateurs ainsi que les réseaux sociaux se sont gaussés de cette piètre attitude. Cela ne l’a en rien affecté. Toujours vibrionnant, de retour au siège de son parti, le nouveau Président de l’UMP a convoqué le ban et l’arrière ban de la droite.

Ensemble, ils ont mis la dernière main à la préparation d’une liste de propositions destinées à embarrasser le gouvernement. Rendue publique elle vise à ringardiser les mesures fortes prônées par la majorité mais en rien attentatoires aux libertés fondamentales.

Fermeté et détermination sont les maîtres mots du dispositif Sarkozy. Il passe de mesures folkloriques ayant une simple valeur d’affichage à des propositions très répressives. Ainsi, il demande que les terroristes soient frappés de «l’ »indignité nationale » comme les anciens collabos en août 1944 à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il prône la « déchéance de nationalité » pour les islamistes de nationalité française. Il sait pertinemment que cette mesure est anticonstitutionnelle. Personne en effet, selon le droit, ne peut être placé en situation d’apatride.  Il réclame  la déradicalisation des jihadistes par un placement dans des centres spécifiques à créer, des sortes de petits « Guantanamo à la française », etc…

Pour faire bonne mesure et pour mettre en cause le gouvernement de manière non frontale en apparence il fait proposer par les parlementaires de l’UMP une commission d’enquête du parlement « pour identifier les failles du renseignement » dans l’assassinat des journalistes, des Juifs et des policiers. L’accusation de négligence ou d’insuffisance est ici subliminale.

Esprit d’union nationale où es-tu ?

Là ne s’arrêtent pas les propositions peu conformes en réalité à un cadre de consensus. En effet, motivés par la fermeté martiale de leur leader, plusieurs hauts responsables de l’UMP y sont allés de leurs suggestions pour muscler encore les propositions de leur parti.

Ainsi, Eric Ciotti s’apprête à déposer une proposition de loi pour supprimer les allocations familiales aux parents des enfants qui ont perturbé la minute de silence le jeudi 8 janvier. Valérie Pécresse, députée des Yvelines et ancienne ministre relance l’idée de  la mise en œuvre d’un Patriot Act à la française (1). Lorsqu’on connaît les risques de mise en cause  des libertés découlant de ce genre de texte, on ne peut que s’alarmer d’une telle proposition.

Les jeunes de la droite populaire, sorte de fer de lance de l’UMP, suggèrent « la réouverture de la prison de Cayenne pour y incarcérer les extrémistes religieux ».

Enfin, Sarkozy, en recevant les nouveaux adhérents au siège de l’UMP le samedi 17 janvier, a insisté et réinsisté pour dire qu’à son avis les récents événements dramatiques qui viennent de se dérouler dans notre pays sont à inclure dans la «  guerre de civilisation »   en cours (2). On voit ce que cela signifie de mise en cause à tort de l’ensemble de l’Islam.

On ne peut guère dramatiser davantage. Tout cela est d’autant plus grave qu’il s’agit là d’une contre vérité. Les assassinats en France sont le fait d’une poignée de criminels illuminés et manipulés par quelques fondamentalistes minoritaires dans leur religion. Ils n’ont rien à voir avec une guerre de civilisation qui n’existe pas, si ce n’est dans la pensée d’un politologue américain.

La simple énumération des propositions faites ou qui vont l’être par le Président de l’UMP et par son parti démontre, par elle-même, que la droite a choisi la voie de la surenchère en tentant de jouer sur l’émotion de tout un peuple.

N’oublions pas non plus que la droite, gênée par l’allant et la fermeté du gouvernement, commence à contester la possibilité d’application de sa politique en mettant en avant l’insuffisance des moyens financiers dont il dispose pour la réaliser. Contre tout esprit de sérieux, il exige le dégagement immédiat de moyens humains.

Invité du journal de France 2 le 21 janvier, Nicolas Sarkozy a consacré l’essentiel de son intervention à des propos polémiques à l’égard du Premier ministre et du Président de la République.

Il s’agit là encore d’une stratégie de déconsidération touchant au dissensus.

D’une manière plus globale Sarkozy – et il ne s’en cache guère – considère qu’immigration et islam sont les causes principales des drames qui viennent d’avoir lieu. En enfourchant les thèmes du Front national il est déjà dans la campagne de 2017.

Pour sa part, le gouvernement, à la demande du Président de la République, est dans le combat et l’action. Il a déjà pris des mesures de répression extrêmement sévères à l’encontre de ceux qui font l’apologie des attentats. Elles sont tellement sévères qu’elles tangentent l’extrême. Il a lancé, sans plus attendre, une mobilisation de l’école pour les valeurs de la République. Il va renforcer, dans les prochaines semaines, les services de renseignements et de surveillance d’internet souvent source d’endoctrinement pour les  jeunes, etc…

En outre, pour assurer la sécurité immédiate du pays, il a eu recours, ce qui ne s’est jamais vu, à dix mille militaires chargés de protéger écoles, mosquées, temples, synagogues et plus largement l’ensemble des citoyens.

Cependant, pour aussi décidées qu’elles soient à prendre toutes les mesures souhaitables pour lutter contre le terrorisme et à apporter des réponses au mal être et aux appréhensions d’une partie de la société, les plus hautes autorités de l’Etat ne pourront prendre en compte des demandes entachées d’un esprit de surenchère. Cela risquerait d’aller trop loin. Elles ne pourront davantage considérer que nous sommes entrés dans une guerre de civilisation.

C’est sur ce très probable rejet que l’opposition, singulièrement Nicolas Sarkozy, jouera pour tenter de faire porter, à un moment ou à un autre, au gouvernement, et bien entendu au Président de la République, le mistigri de la désunion.

Cette sorte de pari fou décrypté, il faut raison garder. La majorité doit, sans se laisser perturber, continuer à mettre en œuvre des dispositifs exceptionnels à la hauteur des enjeux tant dans le domaine de la sécurité que pour assurer le vivre ensemble. Laissons à ceux qui veulent prendre le chemin de l’excès le risque de la division. Cette perspective est très regrettable car, même si nous savons que l’union ne peut être qu’une parenthèse républicaine, un moment au moins, elle devrait pouvoir perdurer sur les questions essentielles.

 

Jean Félix Madère

 

Le 22 janvier 2015

 

(1) Le Patriot Act. Le 26 octobre 2001, quelques jours après les attentats qui ont frappé les Etats-Unis dans leur cœur, le président George W. Bush propose un train de mesure résumées par l’acronyme PATRIOT. Le texte de 132 pages modifie un certain nombre de libertés fondamentales pour renforcer fortement le pouvoir des agences de renseignement et de  lutte contre le crime de l’Etat fédéral américain, du FBI à la CIA en passant par la NSA. Le dispositif le plus controversé du Patriot Act prévoit ainsi que ces agences ont le pouvoir de rechercher auprès des opérateurs de télécommunication privés des informations personnelles d’usagers, mais aussi de les mettre sur écoute et d’archiver ou d’exploiter des données issues de surveillance électronique, sans que les usagers soient mis au courant, et sur simple soupçon. Il prévoyait aussi la possibilité de perquisitionner un suspect et saisir des biens chez lui en son absence et sans avoir besoin de le prévenir. Il créait également des statuts juridiques particuliers, ceux d’ « ennemi combattant » ou de « combattant illégal », qui permettaient d’arrêter, d’inculper et de détenir sans durée des personnes soupçonnées de terrorisme. Cette loi d’exception n’a jamais été abrogée. Prolongée en 2005, puis pérennisée en 2006, elle est toujours en place. Surtout, cette loi prévue pour lutter contre le terrorisme, a été utilisée à d’autres fins. Sur 11.129 demandes de perquisitions en 2013, seuls 51 avaient trait au terrorisme : les demandes concernaient pour l’essentiel le trafic de drogue. (Source : Le Monde.fr/12.01.2015).

 (2) Le concept de "guerre de civilisations" est né d'un livre de sciences politiques très controversé, publié en 1993, intitulé "Le choc des civilisations" et écrit par Samuel Huntington. La thèse du Choc des civilisations est la suivante  : les idéologies ne sont plus en guerre puisque le libéralisme a vaincu, ce sont donc les civilisations qui vont s'opposer. Huntington estime que les civilisations seront en conflit car l'identité, contrairement au modèle économique et politique, est irréductible et difficilement assimilable. A cette conception, il est possible d'opposer un monde des institutions internationales, fondées sur le multilatéralisme. (Source : Sciences politiques et relations internationales).

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