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les propos de madère
15 février 2015

Les propos de Madère

Un enjeu essentiel

 

On a beaucoup parlé ces dernières semaines de la poussée du Front national et de ses conséquences, notamment sur le plan électoral. Ce phénomène de développement des forces à caractère extrémiste, n’est pas, loin s’en faut, limité à la France.

On l’observe un peu partout en Europe. Il se manifeste autour de deux causes principales : l’immigration et l’europhobie.

Contrairement à ce qu’on a longtemps cru, la forte augmentation du chômage n’est pas toujours la seule origine de la montée des forces extrêmes. Ainsi de nombreux pays de l’Europe du Nord comme la Finlande, la Suède, le Danemark ou la Norvège qui ne sont pas affectés par un chômage de masse ont vu apparaître et se développer fortement des partis nationalistes, europhobes et anti—immigration. L’Allemagne, si souvent citée en exemple pour sa réussite économique et, en raison de son passé, très vigilante sur toute émergence de mouvement xénophobe, n’échappe pas à cette tendance. Elle doit, ainsi, faire face à l’apparition de rassemblements islamophobes à l’appel de Pegida (1), mouvement s’inscrivant dans la vague populiste actuelle.

Aussi est-il intéressant de regarder, ne serait-ce que sommairement, comment, en Europe du Nord et en Allemagne, les gouvernements, les partis politiques et une grande partie de la population font face aux problèmes posés par le développement de l’extrémisme de droite.

En Finlande et en Suède, les partis populistes et anti immigrés – les « Vrais Finlandais » et les « Démocrates de Suède »  - sont maintenus à l’écart du jeu politique par la constitution de coalitions réunissant essentiellement les deux principales forces de ce pays : les conservateurs et les sociaux démocrates.

Au Danemark et en Norvège le choix a été fait d’intégrer peu ou prou les partis d’extrême droite. Ainsi « le Parti du peuple Danois », anti-immigrationiste, a conclu un accord parlementaire avec la coalition gouvernementale minoritaire et conservatrice. En Norvège, le « Parti du progrès », populiste de droite et anti immigrés, siège depuis 2013 au gouvernement avec le parti conservateur.

En Allemagne, pays dirigé par une coalition CDU (droite) et SPD (gauche), pour faire face aux manifestations de Pegida, qui a obtenu le soutien de certains partis anti européens comme «Alternative pour l’Allemagne » ou d’extrême droite voire néo-nazi, un collectif de citoyens « Dresde pour tous » a été organisé. Il répond par des contre-manifestations à l’occupation de la rue par Pegida. Angela Merkel n’a pas hésité à prendre la parole à l’occasion de l’une de ces manifestations d’opposition aux anti-immigrés.

On le voit, face à une crise économique insuffisamment maîtrisée, des flux migratoires pas assez contrôlés et dans un contexte international lourd de menaces, il n’y a pas de solution miracle pour s’opposer, canaliser ou réduire la vague populiste observée partout en Europe, considérée à tort comme la « mère de tous les maux ».

Les gouvernements d’Europe du Nord ont ainsi choisi diverses approches pour juguler la poussée extrémiste. Les uns ont mis en place des coalitions, les autres, sans doute pour mieux encadrer les partis extrémistes, les ont intégrés dans la vie parlementaire voire au gouvernement. Les Allemands, pour l’immédiat, les affrontent dans la rue ce qui n’est pas dénué de dangers.

En France, cela devrait pousser à la réflexion. Aucun dispositif organisé n’a été mis en place. Pourtant, elle n’échappe pas, loin s’en faut, à ce courant détestable. Il est incarné dans notre pays par le Front national. Dans une certaine mesure, la situation ici est pire puisque l’opinion en arrive à penser, comme certains politiques, qu’il est « au bord du pouvoir ». Il a en effet connu des succès aux dernières municipales, plus importants encore aux européennes mais aussi dans de nombreuses élections partielles où s’il n’a pas toujours gagné il a obtenu des scores de 30 à 35 %, voire dans quelques cas, tangentant les 50 %.

Face à cette situation les partis politiques Français ont donné longtemps l’impression de subir ou plus simplement de s’étonner que les résultats électoraux enregistrés par le FN soient conformes aux sondages ! Ils ont mal évalué les potentialités de ce parti et sa dangerosité.

La récente élection législative dans le Doubs a, semble-t-il, sensibilisé tout le monde. Ainsi, tel responsable politique clame « il y a le feu au lac », tel autre affirme que le FN est désormais l’adversaire principal.

Or, lorsqu’on regarde la capacité des uns et des autres à mettre en œuvre une véritable action susceptible de contenir ou mieux encore de faire reculer le Front national on s’aperçoit très vite que la partie ne sera pas facile.

Au-delà des déclarations formelles, la droite est divisée sur le sujet. Les uns sont partisans d’une politique ferme et sans concessions car ils sont en désaccord fondamental avec le FN sur l’Europe, l’antisémitisme et son approche xénophobe des questions d’immigration ; les autres, inspirés  par Patrick Buisson (2), sont europhobes, anti immigration et  partisans d’une politique autoritaire peu éloignée des thèses du Front national. Ils n’hésitent pas à agiter les peurs « du grand remplacement », partie importante de la doxa des penseurs de l’extrême droite (3). Les divergences sont telles, les fractures si importantes que l’UMP est dans un état d’anomie reconnu y compris par Sarkozy qui s’avère, jusqu’ici, incapable de redonner une ligne claire au parti qu’il est censé diriger. Il est vrai que tout au long de son mandat présidentiel et durant sa campagne de 2012, il a choisi la droitisation voisine du FN, tellement voisine que désormais son électorat est assez largement poreux aux thèses de ceux à qui il prétend vouloir faire barrage.

La division de l’UMP pose question à maints analystes. Ainsi, dans une tribune publiée le 11 janvier 2015 dans « Le Monde », Jean Yves Camus qui est un spécialiste de l’extrême droite revient sur les erreurs de cette famille politique. Il l’appelle à « clarifier son analyse du phénomène frontiste et les positions qui en découlent parce que c’est pour elle une question de survie ». Il ajoute « le RPR puis l’UMP ont minoré le frontisme et apprennent à leurs dépens que la division des droites qui semblaient immuables entre libéraux, conservateurs et démocrates-chrétiens, cède la place à un nouveau schéma dans lequel les droites nationales-populistes s’installent comme quatrième  force ».

Il poursuit en disant « la droite conservatrice n’a que deux issues : faire sauter le tabou des alliances en espérant que l’épreuve du pouvoir soit aussi défavorable au FN qu’il l’a été au FPÖ Autrichien (4) ou ramener le FN à un étiage si bas que l’UMP redevienne le leader naturel de son camp ». On est loin de tout ça et il est à craindre que l’UMP ne puisse aller au-delà des proclamations verbales anti FN.

Le Parti socialiste, en raison de ses convictions profondes,  n’a pas à se poser la question d’une alliance avec le FN. Parce qu’il est au pouvoir, il dispose de davantage de moyens d’agir pour tenter de réduire le poids du Front national. Cependant, revers de la médaille, ses décisions et orientations font l’objet de critiques qui le handicapent pour rassembler.

Toutefois, tenant compte de la situation du pays, il a ou devrait avoir les moyens de remédier, à moyen terme, aux maux de ceux se détournant de la politique ou soutenant le FN.

Dans ce but, le gouvernement, sans relâcher la vigilance sécuritaire – les attentats de ce samedi 14 et dimanche 15 février au Danemark sont là pour le rappeler – doit remettre à l’ordre du jour les problèmes économiques et sociaux. Les Français ont montré leur attachement aux valeurs républicaines, mais la dure réalité de la vie veut que « la matérielle » ne soit pas oubliée ou sortie des priorités.

Bien que plusieurs indicateurs économiques paraissent plus favorables qu’il y a quelques mois et que l’on puisse espérer que l’action gouvernementale commence à porter ses fruits, on est ici sur la ligne de crête. Il faut conjuguer deux types de mouvements : poursuivre, parce qu’elle est nécessaire, une politique de réformes visant à l’assainissement des comptes publics et la diminution de la dette – ne pas aller trop vite en ce sens - ; s’engager dans une politique ne faisant pas l’impasse sur les attentes profondes de la population pour l’emploi et le mieux vivre.

Comme disait Pierre Mauroy dans un raccourci illustrant ce que doit être une politique de gauche : « Il ne faut pas oublier les ouvriers ».

Si cette orientation lapidaire est suivie, alors nous pouvons espérer faire revenir sur le terrain de la gauche les abstentionnistes et tous ceux qui se sont détournés un moment. Ce sera aussi le moyen de favoriser, dans un deuxième temps, le rassemblement de l’ensemble des forces de progrès indispensable au maintien des positions de la gauche.

Ces observations faites, soyons honnête et ne nous berçons pas d’illusions, la division règne à gauche pour les prochaines consultations électorales. Cela est loin d’être une garantie d’accéder au deuxième tour dans de nombreux départements. Souvenons-nous aussi que dans le Doubs, consigne de vote ou pas, 50 % des électeurs de l’UMP ont voté FN. Cette attitude risque de se généraliser. C’est la conséquence du comportement irresponsable de Sarkozy qui a installé depuis plusieurs années la porosité entre l’électorat UMP et celui du FN.

Si le Parti socialiste est concerné par les conséquences de cette porosité lors des deuxièmes tours, selon l’adage, l’UMP court le risque « que l’électeur préfère l’original à la copie » et  perde ainsi beaucoup de voix dès le premier tour.

Les partis politiques Français confrontés, comme la plupart de leurs homologues des autres pays du vieux continent,  à la poussée de l’extrémisme vont connaître ainsi, sur le plan électoral, des bouleversements liés à l’émergence, en situation d’élection, du Front national.

La culture et le fonctionnement politique de la France, singulièrement dans le cadre de la 5ème République, basée sur le bipartisme, vont limiter les solutions dont ils disposeront. Ils ne pourront que tenter de réduire l’influence du Front national.

C’est la seule voie possible. Tout autre orientation conduira inéluctablement à l’effacement voire à la disparition de l’un des deux partis de gouvernement. Il s’agit donc là d’une question de survie pour eux. Ils sont ainsi face à un enjeu essentiel.

 

Jean Félix Madère

Le 15 février 2015

 

 

(1)   Pegida, acronyme en Allemand, signifie « Européens patriotes contre l’islamisation du pays », termes explicites quant à son orientation.

(2)   Patrick Buisson : ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, fut directeur du journal  « Minute » publication phare du Front national.

(3)   Grand remplacement : Cela sous-entend ici que dans les territoires de forte immigration, les populations dites autochtones redoutent de se voir chasser, marginalisées dans leur culture et leur religion et remplacées par des groupes d’hommes et de femmes venus d’ailleurs. C’est ainsi que s’est installée la peur née du développement de cette notion de « grand remplacement » que le Front national promet d’empêcher. L’écrivain d’extrême droite, Renaud Camus, a inspiré ce parti en agitant ce concept de migration de remplacement. Il a ainsi déclaré que « le grand remplacement c’est le choc le plus grave qu’ait connu notre patrie depuis le début de son histoire puisque si le changement de peuple et de civilisation déjà tellement avancé est mené jusqu’à son terme l’histoire qui continuera ne sera plus la sienne ni la nôtre ».

(4)   FPÖ : parti nationaliste Autrichien

 

Notes de lectures le 18 février

Prochain blog le 20 février 

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