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les propos de madère
19 mars 2015

Les propos de Madère

Au-delà des élections, le chemin de la clarification

 

Dans quarante-huit heures, le premier tour des élections départementales aura eu lieu. Les sondages se multiplient. On est déjà dans la victoire annoncée du Front national. Les derniers meetings se tiennent. Manuel Valls multiplie les propos musclés et répond avec vigueur aux attaques d’ordre personnel de Nicolas Sarkozy. Celui-ci, toujours affecté de tics, s’est transformé en comique grimaçant de « stand up ». Ses propos sont polémiques et caricaturaux. Il n’apparaît ni sérieux, ni crédible. Il court après le FN… Tout cela ne l’empêchera pas de s’attribuer les succès de son parti et de plastronner ad libitum à la télévision et dans la presse.

Pour leur part, les médias commencent à critiquer l’accent mis par la gauche, singulièrement par le Premier ministre, sur les dangers du FN et sur le caractère national donné à une campagne qui aurait dû rester départementale. Ils affirment, déjà, que les résultats auront des conséquences nationales.

La grosse caisse médiatique est en marche…

Bref, un peu tous les acteurs de cette bataille électorale sont dans l’affrontement et beaucoup moins dans la réflexion.

Moins exposé aux joutes du moment et nonobstant les pronostics pessimistes concernant les résultats de la majorité, le Président de la république a pris le temps, calmement mais avec fermeté, d’énoncer ses idées et d’anticiper dans le cadre d’un entretien donné dans la semaine du 12 au 18 mars à Challenges, magazine économique.

Ses propos sont forts intéressants car, le chef de l’Etat – cette fois on ne pourra pas lui faire reproche de ne pas avoir été clair – a réaffirmé sans ambiguïté, malgré le tintamarre médiatique annonçant la défaite du Parti socialiste,  qu’au lendemain des départementales il ne changerait « ni de ligne, ni de Premier ministre ». Tous ceux qui se sont lancés, au cours des dernières semaines, dans des pronostics plus ou moins hasardeux quant au maintien du cap du chef de l’Etat, vont en être pour leurs frais. Par ailleurs, les nombreux observateurs qui s’interrogeaient sur la signification de la réception à l’Elysée d’un groupe de « frondeurs » et y voyaient déjà, pour leur complaire ou les faire rentrer dans le rang, des inflexions majeures dans les choix économiques et sociaux du Président, vont être quelque peu « défrisés ».

François Hollande fait de la politique.

Il a, en dépit des mauvais sondages, cela n’étonnera personne, en ligne de mire sa très probable candidature à la prochaine élection présidentielle. S’il ne veut pas « ouvrir les vannes de la dépense » et s’il n’entend pas ainsi remettre en cause « une ligne politique alors qu’elle est claire et qu’elle commence à porter ses fruits », il n’écarte pas, avec Manuel Valls à la tête du gouvernement, l’idée d’un réajustement ministériel.

Il déclare ainsi à « Challenges » : « Il faut bien, en effet, pour partir au combat avoir une majorité élargie plutôt que rétrécie ».

Cela signifie qu’il a, ou va, entamer des discussions avec les différentes composantes de ce qui a constitué la majorité présidentielle, aujourd’hui effritée. En agissant ainsi, il applique la vieille mais excellente pratique consistant d’abord à rassembler son camp et à l’élargir ensuite.

A un moment où la gauche est très divisée, avec les conséquences néfastes qu’on peut redouter, il juge qu’il convient de s’atteler, sans plus attendre, à travailler à renouer les liens entre ceux qui faisaient autrefois l’union de la gauche.

En procédant ainsi, il « enjambe » les élections départementales dont il ne cache pas qu’elles seront « difficiles, plus difficiles encore si on ne livre pas bataille ». Il en tire, par avance, les leçons. Il est déjà dans les lendemains sans s’attarder dans le commentaire.

Convaincu de l’évolution favorable de l’économie, il pense pouvoir disposer de quelques petites marges de manœuvres facilitant son entreprise de rassemblement. Ainsi, dans son entretien avec « Challenges », il met l’accent sur sa volonté d’apporter des améliorations pour les classes moyennes qui seront moins imposées. Il indique que les classes populaires devront être les premières bénéficiaires des créations d’emplois. Il souligne que « des marqueurs de gauche » : le tiers payant, des mesures pour les personnes dépendantes, les dispositions législatives sur la fin de vie, seront mises en œuvre.

Ces précisions exposées, il enfonce le clou et rappelle que tout cela doit être réalisé « sans alourdir les déficits, ni alourdir les charges des entreprises ». Il ajoute, ce qui est une confirmation et va dans le sens de l’union des forces de progrès, l’élargissement de la majorité « ne pourra, ne devra se faire que sur cette exigence impérieuse de combat contre le Front national ».

Or, d’évidence, ce combat pour être efficace, singulièrement au moment de la Présidentielle, exige le « rassemblement salvateur », comme le dit le journaliste de « Challenges ».

Chacun va être placé devant ses responsabilités. François Hollande invite régulièrement les uns et les autres à des discussions informelles. Il argumente, plaide et passe à tous le même message : « Nous devons nous rassembler face à l’adversité et à la tragédie qui menace le pays car le FN est en situation d’accéder au pouvoir ».

Arc-bouté sur ses positions, il réitère, rapporte Nicolas Domenach, qui a réalisé l’entretien, « qu’il faut l’élargissement mais pas au détriment de la ligne politique ».

Ces déclarations de François Hollande ont eu un grand retentissement. A cela deux raisons : sa fermeté sur le cap et cette perspective de réajustement de l’équipe gouvernementale. Sur ce dernier point beaucoup se sont engouffrés dans le petit jeu de l’éventuelle ouverture à des « frondeurs » venant à résipiscence ou sur le retour au gouvernement d’écologistes « Hollando compatibles ». Tout cela n’est pas inintéressant. François Hollande, qui n’est pas « manchot », sait que ces perspectives éventuelles peuvent jeter le trouble parmi les contestataires du PS mais surtout provoquer l’implosion du Parti Ecolo.  Il est cependant trop tôt pour préjuger des effets de décisions pas encore prises. En tout état de cause, dans ces domaines, le Président de la République est maître du jeu.

Tout ceci souligné, il ne faut pas oublier que l’essentiel est ailleurs. Il réside dans le fait que François Hollande, en réaffirmant sa ligne social-démocrate, voire aux yeux de certains social-libérale, tranche avec les pratiques habituelles du Parti socialiste qui depuis toujours ou presque balance entre les deux cultures de gauche : celle demeurant imprégnée de marxisme, étatique et centralisatrice et celle axée sur le réformisme et cultivant le compromis.

Depuis Epinay en 1971, à plusieurs reprises, des affrontements très durs ont eu lieu sur ces orientations lors des congrès socialistes.  Aucun n’a tranché. Au mieux a-t-on admis dans la vie quotidienne, au-delà des principes, la pratique social-démocrate sans jamais l’afficher comme l’ont fait les Allemands à Bad Godesberg en 1959. (1)

En France, on se réfère toujours, stricto sensu, au « socialisme » pour se différencier plus commodément de la droite. Comme l’écrit Michel Winock dans sa récente biographie de François Mitterrand : « Après lui, Epinay continuera de hanter la gauche du Parti et, du même coup, contribuera à entretenir la mauvaise conscience des socialistes appelés à gouverner. Janus Bifrons (2) le socialisme français était ainsi appelé à décevoir à la fois les fidèles à sa tradition révolutionnaire et les partisans d’un « réformisme pragmatique » dont paradoxalement Mitterrand était un représentant certain mais inavoué ».

François Hollande a choisi la pratique réformiste de la social-démocratie. Il l’assume, s’y maintient et, politique habile, il s’appuie, à raison, sur le danger du Front national pour amener ceux, plus à gauche, au rassemblement.

Placé hors du chaudron électoral et ayant « le cuir suffisamment tanné » pour savoir que la vie politique est ponctuée de succès et de défaites, il n’est nullement perturbé par les annonces les plus noires et les propos insultants de Sarkozy qui le traite tous les jours de « menteur ». D’apparence, tout cela est pour lui de l’écume. Il voit plus loin.

Sans doute, quoiqu’il en dise, devra-t-il accepter quelques inflexions notamment en direction des écologistes mais, à moins de quelque coup de Trafalgar économique ou international, il maintiendra sa pratique d’une politique rigoureuse. Comme le dit un exégète averti de la pensée « Hollandaise » : « Il a fait son « Bad Godesberg » tout seul et il ne reviendra pas là-dessus ». Il ajoute : « De toute façon, maintenant, à deux ans des présidentielles, il doit aller au bout de son choix social-démocrate ».

Toutefois une interrogation demeure. Le prochain congrès du Parti socialiste va-t-il avaliser aussi clairement cette ligne politique ? Va-t-il tenter de revenir à une gauche teintée de marxisme ? ou fera-t-il en sorte que de ses assises sorte, comme les socialistes en ont le secret, une orientation « nègre blanc » qui ne gênera personne mais maintiendra l’ambigüité ?

En vérité, c’est dans la réponse donnée à ces interrogations que réside, sur le fond des choses, bien avant la présidentielle de 2017, le succès durable ou non de la mission que s’est donnée François Hollande, au travers de sa présidence,  de conduire le Parti socialiste  à clarifier sa ligne politique.

 

Jean Félix Madère

 

(1)  C’est au congrès de Bad Godesberg, en 1959, que le Parti social-démocrate allemand abandonna la référence au marxisme et se rallia à l’économie de marché. Cet abandon fut nuancé par la priorité donnée à la politique sociale.

(2)  Janus bifrons : divinité romaine à deux visages, l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir.

 

Prochain blog le 27 mars 

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