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les propos de madère
26 avril 2015

Les propos de Madère

Fait religieux, laïcité et vivre ensemble

 

Selon une enquête menée par l’Institut Randstad (1) publiée dans « Libération » et « Les Echos » du 22 avril 2014, le fait religieux est de plus en plus présent sur les lieux de travail. Ce phénomène va croissant. Ainsi, 23 % des chefs d’entreprises y ont été confronté en 2015 alors qu’ils n’étaient que 12 % en 2014 à avoir constaté l’expression, sous diverses formes, d’appartenance religieuse au travail.

Cette expression va de demandes d’autorisations d’absence pour une fête religieuse (19 %) au port de signes distinctifs comme la croix, la kippa, le foulard ou le turban (17 % des cas). Cela peut aussi se manifester sous forme de demandes d’aménagements d’horaires (12 % des cas) et, de manière moins importante, de réclamations liés à des prières pendant le temps de pause, voire pendant le temps de travail, ou encore par le refus de travailler avec une femme. Enfin, cela peut aller jusqu’au prosélytisme.

Même s’il est signalé, dans l’étude de l’Institut Randstad, que ces expressions demeurent limitées et n’ont pas, jusqu’ici, beaucoup perturbé l’atmosphère de travail, les chefs d’entreprises s’inquiètent de cette dérive. Ils craignent, notamment, que la gestion de ce problème conduise à ce qu’ils soient accusés de racisme ou de discrimination.

Alerté, le Medef s’apprête à publier un « carnet de recommandations » sur ces questions. Ce ne sera certainement pas la panacée tant ce phénomène va au-delà, dans la société actuelle, des entreprises.

Soyons clairs, cette enquête, bien que limitée, a le mérite d’appeler l’attention sur un problème source de tensions et susceptible de mettre en cause le vivre ensemble dans notre pays.

Ce retour du religieux, d’intensité diverses, n’est pas propre à une seule religion mais concerne les diverses croyances existant en France.

Cela est d’autant plus surprenant que pendant longtemps les pratiques religieuses et l’affirmation des convictions liées à la foi avaient formidablement régressé. Cela pouvait et peut encore être constaté, en particulier, dans la désertion des lieux de culte.

Le comportement général de la population paraissait s’inscrire dans une sorte de mouvement très fort de « déconfessionnalisation » du plus grand nombre. L’explication de cette évolution semblait découler de la mondialisation de la société, de l’évolution des connaissances affaiblissant l’attachement aux cultes et du brassage des populations effaçant les repères anciens.

La France, vieux pays imprégné de culture judéo-chrétienne, n’a pas échappé à ce mouvement d’éloignement apparent du religieux.

Pourtant, les Français, dans leur ensemble, vivent dans un pays où ce qui fut la religion dominante persiste à structurer la vie de chacun, y compris la faible fraction de la population « a religieuse ».

Fériés et fêtes en sont les symboles les plus marquants mais aussi, de manière plus subliminale, en toile de fond des paysages, les clochers des églises, dans tous les villages et villes du territoire, témoignent du passé et demeurent, aujourd’hui encore, dans l’inconscient de beaucoup, un élément incontesté dans la culture de base du pays.

Pour tous, ou presque, toute remise en cause de ces références est vécue comme une atteinte à des liens auxquels on tient même si on est détaché  des croyances dont elles sont à l’origine.

C’est dans ce contexte singulier que, d’une part, des individus ont ressenti, au fond d’eux-mêmes, un besoin de donner du sens à leur existence. La foi leur est ainsi apparue comme susceptible, au plan individuel, d’être cette dimension supérieure permettant – du moins le pensent-ils – de surpasser le vide d’une société de plus en plus matérialiste. Minoritaires dans une société « déchristianisée » ils sont naturellement devenus les militants de leur foi, n’hésitant pas à s’engager pour défendre et affirmer les valeurs qui lui sont attachées.

D’autre part, s’est développé dans le pays, une autre religion monothéiste – la religion musulmane – aux pratiques cultuelles différentes de celles de la religion chrétienne dominante. Ses lieux de cultes, les mosquées, à l’architecture particulière, étonnent, voire choquent, dans les paysages français. Beaucoup de ses membres ont des comportements, concernant la place des femmes dans la société, le rapport à l’autre et au plan vestimentaire, tellement en décalage de la majorité de la population que cela induit, dans le pays, un rejet plus ou moins marqué mais toujours exploité, accentué à des fins politiques par le Front national. Ce rejet est encore renforcé par l’attitude de quelques-uns d’entre eux développant des thèses antisémites sources de fractures, voire de violences.

Enfin, une infime minorité de ces musulmans, tenants d’un islam dévoyé, est en rupture totale et fait le choix du terrorisme en n’hésitant pas à perpétrer crimes et assassinats sur le territoire national.

Tel est le fond des choses dont l’enquête de l’Institut Randstad est une sorte de signal de potentiel désordre dans la société Française. Hélas, le cap de l’expression du fait religieux est désormais dépassé. On en est souvent désormais à un refus, voire à un raidissement, ou à une opposition par rapport aux évolutions de la société. Pire encore à la violence absolue au nom d’une religion.

Observons ainsi qu’en un peu plus de trois mois le terrorisme a frappé à plusieurs reprises dans notre pays. La première fois, c’est la liberté d’expression puis les Français de confession juive qui ont été visés. Le 19 avril, l’assassinat d’une jeune femme a failli précédé une nouvelle action sanglante s’en prenant cette fois, d’après ce que l’on sait, aux paroissiens d’une église catholique de la région parisienne.

Assumant les responsabilités qui lui incombe mais allant jusqu’à tangenter une surexploitation de ces événements, le gouvernement a pris toutes les dispositions susceptibles d’éviter, autant qu’il est possible, le renouvellement de tels actes. Agir pour protéger la population, rassurer, éviter les peurs inutiles est, en effet, indispensable. Il convient aussi, corrélativement, de traiter ces questions à leur source, c’est-à-dire en s’adressant aux jeunes, en les éduquant pour éviter les dérives.

Des décisions ont été prises dans ce sens depuis longtemps. La première fois ce fut consécutif aux attentats aux Etats-Unis le 11 septembre 2001.

Le gouvernement de Lionel Jospin a chargé le philosophe Régis Debray d’un rapport concernant « le fait religieux » avec l’intention qu’il soit enseigné, de manière neutre et objective, dans les lycées, les collèges et dans le primaire. Le but était que la jeunesse française soit informée des différentes religions, en ait une conscience convenable et, à partir de là, respecte les différentes croyances. Ce rapport, rendu en février 2002, a fait date mais faute d’un corps professoral formé à ce type d’enseignement très sensible et porteur de questionnements multiples, les résultats escomptés n’ont pas été atteints.

A la suite des attentats de janvier 2015, l’observatoire national de la laïcité a indiqué des pistes de même nature que le rapport Debray.

Depuis, l’Education nationale étudie la possibilité de développer, aux différents niveaux scolaires, un enseignement du « Fait religieux ». Il est plus que jamais nécessaire de parvenir à mettre sur pied ce type d’enseignement. Il ne sera efficace que si, préalablement, les professeurs sont préparés à dispenser un enseignement aussi particulier.

N’oublions pas qu’au lendemain de l’assassinat des journalistes de Charlie Hebdo et des clients de religion juives de l’épicerie cacher de Vincennes, de nombreux élèves de lycées, un peu partout en France, ont refusé de participer à la minute de silence observée en mémoire des victimes et nombre d’entre eux ont explicitement dit  ne pas se reconnaître dans l’usage de la liberté d’expression de l’hebdo satirique et n’ont fait guère preuve de compassion à l’égard des morts de Vincennes. Ce fut plus que désolant…

Cette attitude de prise de distance, au nom d’une religion, des valeurs aussi importantes que la liberté d’expression et de respect des autres croyances tout comme les dérives pointées par l’Institut Randstad sont des signaux plus qu’alarmants du délitement du vivre ensemble désormais en cours dans notre pays.

Il est donc nécessaire que cet enseignement du fait religieux dans les écoles de la République, même s’il suscite, ici et là, quelques interrogations sur son impérative nécessité et sur les lieux où il sera dispensé, soit mis en œuvre.

Seul le cadre laïque de l’Ecole peut en garantir la neutralité.

Ceci admis au moment où la religion, prise au sens large du terme, est à l’origine des tensions et de violences extrêmes, il convient que soit reconnu par tous le principe de laïcité.

Il faut ici ne pas barguigner. Il est nécessaire de ne pas s’interroger comme on semble le faire dans les partis politiques sur le sens et la portée de ce mot. Les uns, à l’UMP, parlent de « laïcité positive », les autres, du moins certains, au Parti socialiste, se disputent et considèrent qu’il y a d’un côté « les laïcards historiques » qui pensent « que les religions nous emmerdent » ; d’un autre côté il y a ceux qui disent que la « laïcité est un prétexte pour stigmatiser les musulmans » !  Enfin, au milieu – si l’on peut dire – on trouve ceux partisans de la ligne d’Aristide Briand, c’est-à-dire le respect de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, qui tentent d’être porteurs d’un consensus ».

Sans vouloir se mêler des positions des partis, il parait impérieux, lorsqu’on est conscient du contexte actuel, de mettre de côté les débats sources de divisions supplémentaires.

Il est ainsi inutile d’ajouter au mot laïcité un quelconque qualificatif ou d’y voir des intentions maximalistes ou malignes.

Lorsqu’on aborde honnêtement ce sujet, les choses sont simples. Il suffit pour l’Etat, pour les catholiques, les musulmans, les juifs, les protestants, les hindouistes, etc… de considérer que, comme l’écrivait Régis Debray, « la laïcité n’est pas une option spirituelle parmi d’autres, elle est ce qui rend possible leur coexistence, car ce qui est commun en droit à tous les hommes doit avoir le pas sur ce qui les sépare en fait ».

C’est à ce prix que sera sauvegardé, dans notre pays, le « vivre ensemble ».

Jean Félix Madère

(1)  Institut Randstad : c’est un laboratoire pour l’égalité des chances, notamment concernant la diversité. Il agit et enquête avec l’observatoire du fait religieux.

Notes de lectures le 29 avril

Prochain blog le 4 mai

 

 

 

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