Les propos de Madère - notes de lecture 24 juin 2015

Notes de lecture

Parmi mes lectures de ces trois dernières semaines, je signale quatre livres : « Eden utopie » de Fabrice Humbert ; « Deux gouttes d’eau » de Jacques Expert ; « Qui est Charlie ? » d’Emmanuel Todd et « Le travail et la loi » de R. Badinter et A. Lyon-Caen.

Comme j’en ai pris l’habitude, quelques commentaires au sujet de ces ouvrages et quelques informations sur leurs auteurs.

Eden utopie roman de Fabrice Humbert, publié aux éditions Gallimard en février 2015 (278 pages). Il raconte l’histoire compliquée et foisonnante de personnages issus de deux familles au début du XXème siècle. Beaucoup de choses tournent ainsi  autour du destin de deux femmes et de la création d’une étrange communauté : la Fraternité.

Au fil du temps, les familles évoluent mais tentent de sauvegarder dans leur vie les principes appris dans la Fraternité. Dans ce milieu protestant apparaît de manière fugace l’ancien Premier ministre, Lionel Jospin. C’est l’indice que ce roman emprunte beaucoup à la réalité et décrit des événements qui ont eu lieu. Les chapitres consacrés à Action Directe l’attestent.

L’interrogation qui domine est « Quelle utopie est encore possible de nos jours ? ».

Roman d’aventure, histoire d’une double famille, Eden utopie est un livre de qualité. Dommage que le trop plein de personnages rende souvent sa lecture ardue, du moins si l’on veut bien suivre le fil du récit.

Fabrice Humbert est agrégé de lettres. Il enseigne au lycée franco-allemand de Buc. Il a écrit plusieurs ouvrages : « Autoportrait en noir et blanc » éditions Plon en 2001, « Biographie d’un inconnu » 2008, « L’origine de la violence » 2009 et « Avant la chute » 2012. Ces trois livres ont été publiés par les Editions Le Passage.

Deux gouttes d’eau roman policier de Jacques Expert, publié aux Editions Sonatine en janvier 2015 (331 pages), est un bouquin étonnant à plus d’un titre. Tout part de l’assassinat d’une jeune femme tuée à coups de hache. Grâce à une caméra de surveillance d’emblée son ami Antoine Deloye est identifié, sortant de chez elle.

A partir de là, on entre dans un récit compliqué. Tout accuse Antoine. Pourtant, celui-ci a un jumeau, Frank, qui lui ressemble tant que tout le monde les confond. Antoine explique à la police que l’assassin est Frank. Le Commissaire, Robert Laforge, flic réputé, déploie tous les stratagèmes possibles pour démasquer le vrai coupable.

Tout au long des quarante-trois chapitres du livre la perspicacité de ce policier retors est mise à rude épreuve. Les jumeaux, cela se voit très vite, jouent à brouiller les pistes.

Les personnages sont typés et bien décrits. L’intrigue tient en haleine jusqu’au bout ou presque. Suspense, rebondissement, fausses pistes et chausses trapes sont les marques de cet excellent polar.

Jacques Expert a été grand reporter à France Info et France Inter. Après être devenu un homme de télévision à TF1 et M6, il est aujourd’hui directeur des programmes de RTL. Il a écrit de nombreux autres ouvrages : « La longue peine » 1989, « Gens de l’Est » 1992, « La femme du monstre » 2007, « La théorie des six » 2008, « Ce soir je vais tuer l’assassin de mon fils » 2010.

Qui est Charlie ? Essai d’Emmanuel Todd, publié aux  Editions du Seuil en mai 2015 (240 pages), se veut une déconstruction de ce que furent les motivations et la réalité de la manifestation du 11 janvier 2015. Résolument iconoclaste et à contre-courant des opinions dominantes, ce livre verse dans un imaginaire tout à fait contestable. Il tente de démontrer que les manifestants étaient pétris de conservatisme, d’égoïsme, d’esprit de domination et d’inégalité. Todd avance, sans preuves, que tous ces hommes et ces femmes réunis voulaient diaboliser l’Islam, voire qu’ils étaient nourris d’antisémitisme. Pour lui, le 11 janvier 2015 la France a vécu un accès d’hystérie !

Par ailleurs, il profite de cet essai pour développer avec virulence ses thèses anti européennes et dénigrer l’ensemble ou presque de la classe politique.

Pour tout dire, j’ai eu beaucoup de mal à aller jusqu’au bout de ce pamphlet. S’il est normal en démocratie d’avoir des désaccords avec tel ou tel, jamais, je crois, je n’ai ressenti un tel fossé entre mes idées et celles d’un auteur d’un des nombreux ouvrages que je lis d’ordinaire avec plaisir et intérêt même s’il m’arrive de ne pas partager telle ou telle opinion.

Là, on atteint des sommets de contre-vérités et d’hypothèses indignes. Emmanuel Todd, à qui on attribue la fameuse formule reprise par Chirac « la fracture sociale » n’avait, jusqu’ici, pas franchi certaines lignes jaunes de la pensée.

Dans « Qui est Charlie ? », il n’hésite pas à le faire d’abondance. C’est son choix. Le nôtre est de ne pas apprécier orientation et idées de ce monsieur.

Emmanuel Todd est historien et anthropologue. Il a beaucoup publié. Citons le « Destin des immigrés » 1994, « Après la démocratie » 2008, « Le mystère français » avec Hervé le Bras 2013.

Le travail et la loi de Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen, essai sur le droit du travail (77 pages) publié aux Editions Fayard en juin 2015, constitue  une réflexion originale sur un sujet complexe.

Ils posent d’emblée la relation entre l’augmentation du chômage et les pesanteurs du Code du travail. Les auteurs affirment que les petits patrons le perçoivent comme une forêt trop obscure pour qu’on s’y aventure. Ainsi disent-ils, le droit du travail mythifié joue contre les travailleurs qu’il est censé protéger. Ils théorisent qu’il peut servir de prétexte au refus de recruter notamment dans les TPE et  PME démunis de juristes expérimentés dans ce domaine.

Badinter et Lyon-Caen ne mettent toutefois pas en cause la nécessité de règlementation de droit du travail et n’aspirent pas à détricoter le Code. Leurs propositions visent à la simplification. Pour ce faire, ils avancent des « principes » qu’ils déclinent en huit chapitres. Leurs suggestions ne sont pas inintéressantes tant ils ont pour but de mettre en lumière l’essentiel des principes qui structurent le droit du travail et de les dégager ainsi des textes trop nombreux dans lesquels ils sont ensevelis.

Si on peut contester le lien établi au départ entre chômage et droit du travail on peut toutefois admettre que ces juristes de haut vol font des propositions de simplification qui méritent d’être examinées.

Maintenant, l’interrogation est de savoir s’ils inspireront prochainement les pouvoirs publics pour d’éventuelles réformes dans ce domaine.

Robert Badinter, ancien ministre, connu pour son combat pour l’abolition de la peine de mort, fut aussi Président du Conseil constitutionnel. Il est professeur émérite de l’Université Paris I Panthéon Sorbonne.

Antoine Lyon-Caen est professeur émérite de l’Université Paris-Ouest Nanterre et directeur d’études à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

Bonne éventuelle lecture

Jean Félix Madère

Prochain blog le 29 juin