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les propos de madère
13 septembre 2015

Les propos de Madère - Une réforme lourde de conséquences ?

Une réforme lourde de conséquences ?

 

Depuis trente ans au moins, le patronat fait une double « fixette ». Il réclame l’abaissement des charges et une réforme du code du travail. Ayant obtenu de substantielles diminutions des charges – il n’en continue pas moins à en revendiquer d’autres – le voilà maintenant qui exige, avec un regain de virulence, des changements profonds dans la législation du travail.

Curieusement, c’est un gouvernement socialiste qui est en passe de satisfaire, au moins partiellement, les demandes patronales. C’est la situation économique et le souci de redonner des marges aux entreprises afin que le pays retrouve la croissance et que la situation de l’emploi s’améliore qui justifient le cap choisi par ceux qui sont aux responsabilités.

François Hollande et Manuel Valls se sont ainsi engagés dans une politique de l’offre qui, bien qu’elle tarde à donner des résultats  visibles, constitue un choix politique respectable même si, marasme économique oblige, elle n’est pas dans les canons habituels de la gauche.

Sans doute parce que malgré cela la courbe du chômage ne s’inverse pas, le pouvoir veut explorer d’autres pistes et prête ainsi une oreille attentive à la vieille revendication patronale de refonte du code du travail. Ici, il faut convenir que le Medef n’est pas seul à plaider dans ce sens  et à trouver que le code  est illisible, obèse et ainsi un frein à de nouvelles formes de relations sociales.

En effet, des juristes reconnus de la gauche et une pléiade d’économistes, qui accompagnent depuis toujours le camp du progrès et ont travaillé toutes ces questions touchant au droit du travail, viennent de produire des ouvrages ou des rapports visant tous à des révisions profondes pour ne pas dire iconoclastes.

Beaucoup ainsi voient bien au-delà de la réforme de la règlementation du travail. Ils en espèrent, additionnée à d’autres réformes déjà votées, un bouleversement des grands équilibres du fonctionnement de l’Etat. Nous y reviendrons plus loin.

Président de la République et gouvernement déclarent qu’ils n’ont rien demandé à personne sauf à J.D. Combrexelles chargé, in fine, d’un rapport sur le sujet qui, lui, est une commande de l’exécutif.

On ne peut cependant écarter l’idée que les travaux, en juin, de Robert Badinter et d’Antoine Lyon-Caen, ceux, trois mois plus tard, du think tank « Terra Nova » - proche du PS – conduits et rédigés par l’avocat J. Barthélemy et Gilbert Cette, économiste proche de Martine Aubry, n’ont pas été publiés avec au moins la bienveillance des plus hautes autorités de l’Etat.

Ainsi, l’opinion a été préparée à d’éventuelles réformes du code du travail même si beaucoup conviennent qu’elles ne permettront pas de surmonter le problème de l’emploi. Cependant, le terrain a, en quelque sorte, été déminé avant la publication du rapport Combrexelles remis à Manuel Valls.

Les outrances, volontaires ou non, des propositions du tandem Barthélemy-Cette font apparaître « modérées » les préconisations de J.D. Combrexelles. Notons ainsi, parmi d’autres provocations de cet avocat et de cet économiste, qu’ils proposent « un smic inférieur à celui actuellement en vigueur négociable au niveau des branches » et n’hésitent pas à suggérer que « le smic étant totalement inefficace pour lutter contre la pauvreté » il serait souhaitable « d’imaginer un smic qui varie en fonction de l’âge ou encore de la région ». Bien entendu, au-delà de ces chiffons rouges, leur position de fond – c’est la constante de tous les rapports – vise à privilégier la négociation au niveau de l’entreprise. C’est-à-dire là où la situation de subordination du salarié à l’employeur – singulièrement dans les PME – est la plus forte et où les syndicats, faibles en général, sont quasi inexistants.

Bref, Gattaz est dépassé et n’aurait sans doute pas espéré – même sous prétexte de modernité – que de telles suggestions puissent être faites au nom d’un nécessaire « Big Bang social » par des hommes, répétons-le, classés de manière indéniable à gauche ! L’explication est qu’ils ont, au-delà de la règlementation du travail, d’autres idées plus essentielles encore. Rien ne nous interdit d’être en désaccord avec eux. C’est notre liberté !

Néanmoins, leurs outrances font apparaître le rapport Combrexelles, le seul reconnu officiellement comme étant une commande gouvernementale, plus raisonnable. Pourtant, ce rapport, s’il est suivi, est loin d’être anodin dans ses conséquences.

Manuel Valls n’a d’ailleurs pas dissimulé, sans donner de précisions, que cette réforme serait une des plus importantes du quinquennat.

Dans l’état actuel des informations rendues publiques sur ce rapport, notons qu’il propose de conserver, tout en clarifiant leurs champs respectifs, la hiérarchie des sources du droit du travail. Cela pourrait s’articuler ainsi : « un code du travail pour les grandes règles impératives, des conventions de branches pour les secteur professionnels, puis des accords d’entreprises aux domaines élargis et à durée limitée ».

Ces accords deviendraient prioritaires dans les secteurs des conditions de travail, du temps de travail, de l’emploi, des salaires tout en restant encadrés par les deux niveaux supérieurs ! Ce n’est pas rien tant le niveau de l’entreprise est l’endroit de fragilité pour les salariés et les syndicats mais de force et de puissance pour les patrons (1). Cela est tout de même atténué par la nécessité, pour qu’un accord soit validé, qu’il soit signé par un ou plusieurs syndicats ayant obtenu 50 % des voix aux élections professionnelles. Jusqu’ici 30 % suffisaient.

Mais on touche là à la réalité de la faiblesse du syndicalisme français en particulier dans le secteur privé et dans les PME.

Sans entrer dans les détails, soulignons que le mouvement syndical, hormis une partie de ses militants, appartenant d’ailleurs aux diverses centrales qui le composent, n’est pas prêt aux compromis difficiles, techniques et moins distributifs que postule une véritable intensification du dialogue social. Là se trouve, sans doute, une des limites de la politique prônée par le rapport Combrexelles. (2)

N’en disons pas plus, pour l’instant, sur le contenu de ces propositions.  Les négociations qui vont s’engager à l’instigation du gouvernement entre les organisations patronales et de salariés mettront en lumière bien d’autres aspects discutables de ce rapport.

Certes, d’apparence il est moins agressif, moins drastique que les autres. On est en effet, loin, comme le proposait Badinter, de réduire le code à cinquante principes et de mettre en cause le smic comme l’envisage G. Cette. De plus, d’ores et déjà, le Président de la République et le Premier ministre ont indiqué qu’ils ne retiendraient pas ce qui touche au contrat de travail, au temps de travail et à la possibilité, au niveau de l’entreprise, de définir le seuil de déclenchement des heures supplémentaires qui mettrait en cause la durée légale. Prenons-en acte.

Cependant, François Hollande et Manuel Valls mettent en exergue leur volonté de favoriser le dialogue social basé sur le contrat plutôt que la loi.

Aujourd’hui, dans ce domaine, nous n’en sommes qu’aux prémices. Il faut être conscient que nous entrons, peut-être sans bien le mesurer, dans une modification profonde du rôle et du fonctionnement de l’Etat et donc de nos pratiques républicaines dont un des fondements est l’égalité.

Depuis toujours, le socialisme a été traversé, comme d’autres partis d’ailleurs, par des courants centralisateurs se heurtant à des courants décentralisateurs.

Depuis la Révolution française un équilibre entre les deux tendances  - favorable néanmoins au jacobinisme -  a été plus ou moins maintenu même à la grande période de la décentralisation en 1982.

Va-t-on, à terme, vers une rupture en faveur du mouvement décentralisateur ou, ceux qui nous dirigent ou dirigeront demain, sauront-ils maintenir une prééminence de l’Etat et de la loi, clé du maintien de l’égalité ?

Là est une très forte interrogation.

Ne soyons cependant pas aveugle. En effet, si on se place dans le moyen terme, le niveau choisi par le rapport Combrexelles pour privilégier le dialogue social – l’entreprise et le local – censé être mieux à même d’y gérer les réalités de terrain est en fait l’expression d’une volonté dépassant largement la mission apparente de réforme du droit du travail. On est clairement dans une option politique : l’affaiblissement de l’Etat. Celui-ci, jusqu’ici, garantissait, au travers de la loi, des règles uniformes sur l’ensemble du territoire. Sous prétexte de rigidité, demain, à bas bruit, une multitude d’accords locaux, fruits inégaux des rapports de force dans telle entreprise ou dans telle autre, se substitueront à la loi.

Au mieux, l’Etat sera ravalé dans un rôle d’arbitre plutôt que d’acteur. On rejoint ici le dispositif de la réforme territoriale où, au travers de la mise en place de métropoles et de grandes régions aux pouvoirs économiques étendus, on en arrive à minorer, dans de multiples domaines, le rôle capital de régulation de l’Etat.

Ainsi, même si on peut comprendre, voire soutenir les choix économiques et écologiques, même si on approuve les options militaires, les efforts sur la sécurité, la lutte contre le terrorisme et la politique généreuse d’accueil des réfugiés, il est des domaines où on ne peut qu’appeler le gouvernement à ne pas perdre la boussole des équilibres fondamentaux.

Au nom du changement, il y a des inflexions acceptables. Par contre, d’autres, touchant aux conceptions essentielles de la République une et indivisible, ne le sont pas. Informés, il n’est pas encore trop tard pour s’opposer à ce courant qui risque, si on ne réagit pas, de se développer de façon pernicieuse. Les conséquences seraient alors lourdes.

 

Jean Félix Madère

 

(1)   Le résultat du referendum récent, organisé à l’usine qui produit des Smart –  alors qu’elle n’est pas en difficulté  – démontre à l’envi que la peur du chômage tétanise les salariés qui acceptent ainsi l’allongement de la durée du travail, qui conduit de fait à une baisse de salaire, et ce malgré l’avis contraire des syndicats.

 

(2)  Ceux qui excipent des dizaines de milliers d’accords d’entreprises signés chaque année pour valider cette politique, omettent de dire que, dans la majorité des cas, il s’agit d’accords sans grande complexité.

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