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les propos de madère
12 novembre 2015

Les propos de Madère - Noé

NOE

Une nouvelle fois, de manière plus importante que la polémique relative à ses déclarations provocatrices à propos de la rémunération au mérite des fonctionnaires, Emmanuel Macron est au cœur de l’actualité. Cette fois, c’est dans la perspective de l’élaboration d’une loi sur les nouvelles opportunités économiques (Noé) qu’il a invité cinq cents personnes à Bercy pour traiter des bouleversements de la révolution numérique et esquisser, à grands traits, les mesures qu’il souhaite voir mises en œuvre à ce sujet.

Ainsi, on parle déjà d’une loi Macron II. Après le tapage à propos du premier texte fourre-tout qu’il a défendu il y a peu et qui a été voté grâce au 49.3, microcosme, médias et opinion attendaient de ce boutefeu des déclarations fortes. Certes, fidèle à ses habitudes, il n’a guère fait dans la nuance mais il a toutefois bridé son caractère transgressif.

Trois raisons à cela : sa réflexion sur le sujet n’est pas achevée ; il ne pourra cette fois ignorer  les autres départements ministériels directement ou indirectement concernés par le dispositif qu’il envisage ; il est désormais sous la « surveillance » de Manuel Valls, peu enclin à lui abandonner totalement – bien qu’il dise le contraire – l’action novatrice du gouvernement.

Cela dit, il est clair que Macron, disposant d’une relation directe avec le Président de la République, ne sera pas trop dans la retenue. Dégagé, pour le moment, des contingences électorales, il va continuer à avancer des idées susceptibles de faire turbuler le système. Au travers de lui, le gouvernement va tenter ainsi de s’inscrire clairement dans la société 2.0 et d’apporter la preuve de son ancrage dans le monde moderne.

Lors de son intervention du 9 novembre à Bercy devant un parterre d’économistes, de spécialistes du numérique, de patrons, etc… il s’est montré relativement prudent, insistant sur l’urgence de réformer et  démontrant que « tous les secteurs d’activité sont touchés par la révolution numérique » et que « cela est en train de s’accélérer formidablement ».(1)

Il a prôné « l’émergence des entreprises disruptives pour éviter qu’elles ne viennent de l’extérieur et pas de chez nous ».

Puis, il a exposé son souhait de voir se développer, pour relancer la croissance et l’emploi en s’appuyant sur les nouvelles technologies, la création d’entreprises individuelles.

Reprenant une déclaration faite à Rennes le 6 novembre, il a argumenté ainsi à ce sujet : « Quand on a connu la précarité économique et sociale, quand le quotidien est une galère, on demande le droit d’accéder à des opportunités, d’avoir le droit de prendre des risques, de choisir sa propre vie, ça sert à ça la microentreprise, c’est pour ça que c’est économiquement essentiel, moralement et politiquement essentiel ».

Cette ode à la microentreprise et à l’autoentreprennariat a été le fil conducteur de son propos qu’il a toutefois élargi en traitant des start-up et de leur financement.

Dans ce domaine, il a émis l’idée qu’au-delà des financements publics provenant de la BPI (Banque publique d’investissements) « soit adapté notre cadre fiscal de nature à orienter le capital qui est celui des épargnants vers le financement de l’économie réelle, vers des produits investis en actions plutôt qu’en obligations ».

Au tournant d’une phrase, il a lâché qu’il planchait sur « la création d’une forme de fonds de pension à la française ». Il n’en a pas dit plus mais cette piste, si elle est suivie d’effet, ne va pas manquer d’alerter l’opinion, tant elle peut être une entrée d’évolution du système de retraites par répartition vers un système par capitalisation.

De même a-t-il admis que la révolution numérique risquait de conduire à une destruction massive d’emplois intermédiaires et évoqué ainsi la possibilité d’une polarisation du travail aux deux extrêmes : emplois peu qualifiés d’une part et très qualifiés d’autre part. Il rejoint ainsi l’avis de Daniel Cohen, exprimé dans son ouvrage Le monde est clos et le désir infini.

Pour pallier ce danger, il a suggéré « qu’à côté du salariat, il convenait de faciliter l’initiative économique notamment pour les plus fragiles ». Pour parvenir à cet objectif, il a ouvert des pistes : remise à plat des exigences de qualifications pour exercer certains métiers et révisions des règlementations sectorielles constituant des barrières à l’entrée.  Revenant sur la nécessité de l’autoentreprennariat, il a suggéré qu’il était indispensable de faire converger sur le plan fiscal et social les statuts d’artisans et d’autoentrepreneurs. Il visait là les actuelles distorsions de concurrence.

Il n’est guère allé plus loin pour l’instant. Il révélera sa stratégie d’ensemble le 15 décembre prochain.

Notons que, bien que plus prudent, il a déjà soulevé ou mis en avant quelques suggestions qui vont susciter, sans plus attendre, beaucoup de réactions. Ainsi, en avançant l’idée que le salariat ne sera plus bientôt le modèle unique de référence, il va – même si les faits ne lui donnent pas tort  - heurter un des fondements du socialisme qui s’est toujours appuyé sur le développement  du salariat constituant sa base. De même, en suggérant l’orientation du capital des épargnants vers de fait le « capital-risque », il  ouvre un débat qui n’est pas mince. Enfin, en mettant en cause les exigences de qualifications et en évoquant les fonds de pension, il ne peut, pour l’instant, que susciter l’inquiétude.

Au vrai, il n’en a cure parce qu’il affirme que la révolution numérique transforme le quotidien de tous les Français et que cette mutation, induisant l’insécurité, il est inutile de nier les réalités. Pour lui, il faut rassurer et pour rassurer il faut agir ! Il refuse ainsi de se placer dans le lamento et choisit d’affronter à la fois les conséquences de la révolution numérique et les résistances susceptibles de naître des mesures indispensables et urgentes de la mise en œuvre du dispositif auquel il travaille.

Il faut ici savoir qu’Emmanuel Macron est entouré d’un comité de pilotage composé d’économistes reconnus : Philippe Aghion, Jean Pisani-Ferry, etc… des entrepreneurs, des juristes, tel J. Emmanuel Ray, des spécialistes du droit du travail, des responsables associatifs. Toutes ces personnalités ont pour mission  d’évaluer, dans leur domaine, l’impact de la révolution numérique et de soumettre au ministre de l’Economie une série de mesures destinées à accompagner la mutation en cours. Son dossier n’étant pas bouclé, il a par ailleurs souligné qu’il était ouvert à toutes les suggestions. Il espère ainsi pouvoir se prévaloir du soutien de l’opinion.

Cependant,  là ne s’arrête pas  le travail de fond mené par Emmanuel Macron. Il est probable ainsi qu’il va trouver inspiration et suggestion dans une étude menée par Nicolas Colin (2) pour le think tank Terra Nova intitulé « La richesse des nations après la révolution numérique ».

Après lecture attentive des 92 pages de cette étude publiée le 9 novembre, il n’est pas exagéré de dire que cette somme va permettre à Macron de présenter un projet bien plus ambitieux que les propos qu’il a tenus à Bercy cette semaine.

A n’en pas douter, il va trouver son miel dans cette réflexion particulièrement fouillée, argumentée et peuplée de suggestions dérangeantes mais souvent en prise directe avec les réalités de la situation en cours d’évolution.

Il n’est pas possible ici d’analyser cette étude par le menu. Cela sera fait dans le cadre des  notes de lecture mensuelles tant il paraît que Nicolas Colin a bousculé les idées reçues et mis le doigt sur l’essentiel des problèmes liés à la révolution numérique.

Disons toutefois, sans entrer dans le détail, que son auteur démontre que la transition numérique gagne toute l’économie, qu’elle est une dimension de la crise et qu’elle impose une nouvelle manière de voir les choses. Il situe ensuite la « conception dépassée » de l’économie française, ses handicaps, les retards provoqués par des choix publics contestables. Puis, il suggère les ressources à mettre en œuvre pour faire grandir nos géants numériques. Il traite alors des problèmes de financement. Ayant fixé quelques règles pour une économie à la frontière de l’innovation, il aborde, avant de conclure, le délicat problème de la protection sociale.

Dans sa conclusion, il rappelle que « la principale préoccupation des Français est l’emploi ». Il admet que « la transition numérique ne peut, en l’état actuel, être présentée comme un remède au chômage et qu’au contraire le développement de l’économie numérique détruit des emplois ».

Partant de ce constat, il affirme qu’il est indispensable de « renverser cette perception négative ».

Selon lui, l’économie numérique pourra créer des emplois si les entreprises numériques grandissent depuis  le territoire français et à condition que les emplois qualifiés ou peu qualifiés nouveaux créent la même valeur que les emplois d’hier mais pour beaucoup moins cher. Cela, de son point de vue, permettra d’élargir considérablement l’offre. Sans hésitations, il considère qu’il conviendra aussi d’abaisser les barrières réglementaires empêchant le développement d’activités massivement créatrices d’emplois.

Pour rendre soutenables les emplois créés à partir de l’économie numérique – majoritairement implantés dans les zones de tension pour le logement – il avance l’idée qu’il faudra, pour ceux qui les exerceront, assurer ces personnes contre la difficulté à se loger. De même, conviendra-t-il, à son avis, de mettre en œuvre une assurance contre l’intermittence face aux risques de l’atomisation croissante des parcours professionnels et d’adapter  les institutions de la protection sociale.

Vaste programme qui ne manquera pas, même s’il est repris partiellement, d’agiter fortement les professions concernées puis l’ensemble de la société. Il ne s’agira pas là, comme l’ont fait les taxis dernièrement, de choisir la violence mais, face à de tels défis et de tels enjeux, de discuter, négocier, amender, adoucir…  bref de rechercher le compromis.

Nicolas Colin  reconnaît  que toutes ces conditions constituent un défi en apparence insurmontable mais dit-il «  seules ces mesures sont à la hauteur des enjeux de la crise que nous sommes en train de vivre : la transition d’un paradigme en extinction, celui de l’économie de masse vers un autre qui émerge, celui de l’économie numérique ».

Sans savoir ce que retiendra Macron de cette étude, on ne peut qu’être très réservé pour ne pas dire plus avec le détail de la réflexion de Nicolas Colin. C’est notamment le cas de la minoration du coût de l’emploi créé : comment vont être rémunérés ceux qui seront recrutés sur cette base ?, de l’affaiblissement des protections réglementaires, etc…

Certes, ce travail est, dans son ensemble, respectable, mais il est loin d’être à prendre dans son entier. Il pointe bien les problèmes liés à la révolution numérique mais les solutions qu’il avance sont très discutables.

Il va nourrir, à n’en pas douter, une bonne part du dispositif législatif que prépare le ministre de l’Economie.

Il va trouver dans cette étude bien des arguments dérangeants dont il est friand. C’est clair, il tient là un sujet qui va lui permettre d’occuper le devant de la scène et sans doute, après beaucoup de débats, de contestations et de turpitudes diverses, de mettre en œuvre des mesures qui, espérons-le, irons dans le bon sens même s’il faut admettre qu’elles risquent de beaucoup choquer tant cette affaire de transition numérique est porteuse de bouleversements.

Emmanuel Macron aime ce genre de défi. Bien que très contesté à l’intérieur du Parti socialiste, dont beaucoup de militants ont du mal à se reconnaître dans un personnage aussi perturbant, il est probable qu’avec le soutien discret mais réel du Président de la République, il parviendra à faire évoluer ce dossier difficile.

Comme l’ont relevé plusieurs observateurs, ce n’est pas pour rien qu’il a choisi l’acronyme « Noé » pour qualifier sa loi. Il espère en effet contribuer à sauver l’emploi.  C’est un clin d’œil mais lourd de sens pour l’avenir.

Jean Félix Madère

 

(1)  Selon une étude de deux professeurs d’Oxford (C.B. Frey et M. Osborne) 47 % des emplois sont menacés par la numérisation, notamment les comptables, vendeurs, secrétaires, personnels médicaux, etc… le livre récemment paru du professeur de médecine Guy Vallancien le confirme (Une médecine sans médecins).  Il n’est pas inutile de souligner que tous ces emplois ou presque sont au cœur de la classe moyenne salariée.

 

(2)  Nicolas Colin est Inspecteur des Finances, diplômé de Sciences politiques et de l’ENA. Il est aussi diplômé de Telecom Bretagne. Il a fondé deux sociétés : « 1 x 1 connect » spécialisée dans l’édition de logiciels et « Stand Alone Media » orienté vers la production et l’édition média à vocation encyclopédique. Il enseigne à l’Institut politique de Paris et effectue des travaux de recherches pour le Think Tank «  Terra Nova ».

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