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les propos de madère
19 novembre 2015

Les propos de Madère - Basculement

Basculement

 

Les attentats du 13 novembre sont et vont être à l’origine de bouleversements majeurs dans la politique de la France tant à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Un dispositif sécuritaire très fort va tenter de répondre aux menaces terroristes de Daech. De même, un renforcement des actions militaires en Syrie va corrélativement viser à l’affaiblissement, voire à la destruction, de ses centres de commandements d’où partent les ordres à destination des exécutants et des kamikazes.

L’ensemble de la nation a pris conscience que nous étions désormais dans une sorte d’état de guerre et qu’il convenait que notre démocratie se donne, en respectant les principes essentiels d’un état de droit, les moyens de se défendre.

Le dispositif sécuritaire et militaire qui va être décidé par l’exécutif et discuté par le Parlement a été défini par le Président de la République, le 16 novembre, lors de son intervention devant les députés et sénateurs réunis en Congrès à Versailles.

Le ton employé par le chef de l’Etat et le détail de ses préconisations en a surpris plus d’un. François Hollande, la remarque n’est pas trop forte, a annoncé un tel durcissement des positions de la France que les plus exigeants dans le domaine sécuritaire n’ont pu exprimer que des critiques marginales ou partisanes. L’adhésion à ses propositions a réuni l’essentiel de la représentation nationale, même si Sarkozy, tout occupé qu’il est à tenter de retrouver un leadership dans son parti, n’a pas senti que le pays aspirait, à tout le moins, à une sorte de trêve, fut-elle temporaire, dans le combat politique.

Le discours de Versailles du Président de la République constitue un basculement dans son quinquennat. Les priorités sont inversées. En une phrase lapidaire, il a annoncé que désormais « le pacte de sécurité l’emportait sur le pacte de stabilité ».

Tout son propos le confirme. Désormais la Présidence de François Hollande s’inscrit prioritairement dans le sécuritaire.

Ainsi, sans vouloir reprendre le détail des termes de son discours, par ailleurs si largement commenté par la presse et les médias, il paraît utile d’en citer quelques expressions et de rappeler le canevas du dispositif sécuritaire et militaire qu’il a exposé le 16 novembre.

Il s’est affirmé d’emblée « Président d’une France en guerre » et, martelant ses convictions, il a poursuivi en déclarant que « nous devons être impitoyables en ne laissant aucun répit, aucune trêve aux terroristes » et s’est fixé comme but « d’éradiquer, dans le respect de nos valeurs, le terrorisme ».

Le vocabulaire employé place ainsi très haut ses ambitions et ses objectifs. Pour les atteindre, il n’a pas donné dans le lyrique et le dithyrambe. Le cadre qu’il a défini est sans ambiguïté : nécessité de faire évoluer la Constitution pour faire de l’état d’urgence, datant de 1955, un état de crise à durée légale plus longue et répondant aux défis actuels. Il n’a pas caché que les modifications devaient permettre de faciliter les perquisitions, les placements en résidence, les saisies, l’expulsion de France des Imams qui prêchent la haine et la dissolution des associations cultuelles radicales qui gèrent les mosquées.

Durcissant encore ses propositions, il  n’a pas écarté la possibilité de permettre la déchéance de nationalité des binationaux, même nés Français, l’interdiction de retour sur le territoire en cas de risque terroriste, l’expulsion plus rapide des étrangers représentant une menace d’une particulière gravité. Il est allé jusqu’à ne pas écarter l’utilisation du bracelet électronique pour les individus faisant l’objet d’une fiche S. A ce sujet, il est quand même resté prudent et a précisé « qu’il saisirait le Conseil d’Etat pour valider la conformité de ces propositions à nos règles fondamentales ».

Soulignons que cet ensemble de mesures est marqué au coin d’une grande fermeté indispensable en matière sécuritaire.

Pour étayer encore son dispositif, il a annoncé la création de 5.000 postes, notamment dans la police et la gendarmerie et, à rebours de la politique menée jusqu’ici, il a précisé qu’il  n’y aurait pas de diminution des effectifs dans la Défense jusqu’en 2019. Ce volet concernant les moyens a été complété par l’évocation de la possibilité de création d’une « Garde Nationale encadrée et disponible constituée à partir de réservistes ».

Elargissant son propos et toujours dans l’esprit « de la nécessité de détruire Daech », il a informé le Congrès qu’il avait demandé la réunion rapide du Conseil de Sécurité de l’ONU et, dans le souci « d’une union des forces », qu’il rencontrerait la semaine prochaine Barack Obama à Washington et Vladimir Poutine à Moscou.

Il n’est pas inutile ici de souligner que François Hollande, en prônant une sorte de grande coalition, infléchit fortement la position de la France, jusqu’ici réservée à l’égard d’une coopération militaire avec la Russie en raison notamment du soutien de ce pays à Bachar El Assad (1).  Ce choix est dicté, à ses yeux, par la priorité donnée à l’élimination de Daech. Notons aussi que les Russes, qui ont été victimes de Daech ayant détruit un de leurs avions de ligne au-dessus du Sinaï faisant 224 morts, sont sans doute, de ce fait, plus ouvert à une intensification de la lutte contre le terrorisme en Syrie. Cette évolution est, toutefois, loin, pour l’instant, d’être assurée de conduire aux alliances espérées.

Dans le cadre de la recherche de l’Union des Forces, le Président de la République a insisté sur une notion peu souvent utilisée en soulignant que « l’ennemi n’est pas un ennemi de la France mais un ennemi de l’Europe. » Ainsi, notre pays est fondé à saisir l’Union Européenne, au titre de l’article 42-7 du traité de Lisbonne, pour réclamer que « tous les états membres doivent porter solidarité à l’état agressé ».

Cette demande a été acceptée unanimement et des discussions ont été engagées à propos de la forme d’aide susceptible d’être dispensée à la France.

Dans sa  conclusion, le Président de la République n’a pas omis le volet strictement militaire en annonçant l’intensification des bombardements sur Raqqa, épicentre du commandement de Daech en Syrie et l’arrivée prochaine sur zone du porte-avions Charles de Gaulle qui permettra le décuplement de nos moyens dans cette région.

Ce rappel, qui mériterait bien d’autres développements et précisions, a pour but  de mettre en lumière que l’exécutif a pris la mesure de l’état de guerre dans lequel nous nous trouvons, de souligner sa volonté de faire face, de rassurer l’opinion  et son souci, au travers de la reprise de nombre de mesures préconisées par la droite, d’assurer le rassemblement du pays dans un moment crucial.

Cependant, ici et là, des esprits malins considèrent que François Hollande profite des malheureuses circonstances actuelles pour faire de la triangulation (2) et donc de la politique à son profit. Cette critique est d’autant plus déplacée que beaucoup de leaders de droite réclament à cors et à cris que leurs propositions soient reprises. On ne peut ainsi prêcher tout et son contraire.

Au vrai, les déclarations récentes de François Hollande constituent un changement de cap majeur. Il a compris qu’il ne fallait pas tergiverser. C’est pourquoi, en prenant le risque de bousculer bien de ses amis, il a considéré que pour les mois qui viennent « le militaire et le sécuritaire doivent l’emporter sur le budgétaire ».

S’il va au bout de cette évolution on va alors assister à un véritable basculement, tous azimuts, de la politique française. Ainsi,  il n’est pas étonnant que, malgré un consensus évident autour du thème de la sécurité, de nombreuses interrogations soient posées sur les risques que peuvent engendrer autant de mesures à caractère autoritaire. Beaucoup y voient l’embryon d’un état d’exception peu compatible avec une démocratie formelle. D’autres expliquent qu’il convient, pour rassurer le peuple, d’aller plus loin et de taper plus fort. D’autres encore regrettent la mise entre parenthèses  de la recherche des équilibres économiques au nom de l’ordre et de la sécurité.

Bref, les discussions qui vont s’engager au Parlement à propos du dispositif prévu par le Président de la République, en particulier la révision constitutionnelle, vont générer de vifs débats.

S’ils se déroulent dans le souci de la recherche de mesures équilibrées et efficaces cela ne pourra que renforcer la démocratie. S’il en allait autrement, ce serait la porte ouverte au désordre, à l’affaiblissement du pays et donc un cadeau consenti au terrorisme.

En tout cas, qu’on apprécie ou pas le Président de la République, l’honnêteté conduit à lui reconnaître le courage d’avoir pris des décisions importantes et d’avancer des propositions, même si elles peuvent être améliorées ou pondérées, à la hauteur des événements.

Jean Félix Madère

 

(1) Il convient ici de ne pas oublier aussi les problèmes de l’Ukraine, le refus de vente par la France des frégates commandées par la Russie, etc…

(2) La triangulation politique consiste à reprendre les propositions de ses adversaires politiques en étant en position, contrairement à eux, de les faire aboutir. On gagne ainsi de l’audience dans leur électorat. Bill Clinton a été un maître en la matière.

 

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